Affaire Rio Tinto en Guinée : favoritisme, corruption et manquements techniques au cœur d’un scandale économique
Depuis juin 2024, la Cour de Répression des Infractions Économiques et Financières (CRIEF) examine une affaire aux ramifications multiples impliquant plusieurs acteurs de premier plan du secteur économique en Guinée. La société Videri Entreprises SARL a porté plainte contre M. Samuel Gahigi, ancien représentant de Rio Tinto en Guinée, Mme Sarah Bougriane, directrice de Graphem Guinée SARL, ainsi que les sociétés Rio Tinto Guinée et Graphem Guinée SARL. Au centre des accusations : favoritisme, corruption dans le secteur privé, usurpation de titres et de fonctions, complicité et association de malfaiteurs. Videri Entreprises réclame environ 47,34 milliards de francs guinéens en réparation.
L’affaire trouve son origine en juin 2023, lorsque Videri Entreprises SARL a obtenu le contrat SIMF-1639 avec l’instruction d’entamer immédiatement les travaux. Cependant, l’exécution du projet a révélé des manquements graves imputables, selon les pièces à la procédure, à Graphem Guinée SARL, censée avoir réalisé les études préliminaires. Contrairement à ses obligations contractuelles, cette société est accusée de n’avoir fourni ni études préalables ni plans techniques, mettant en péril la faisabilité du projet de parc urbain de Conakry.
Selon des pièces à la procédure, devant ces lacunes, une réunion d’urgence a été convoquée le 9 juin 2023 entre Videri et Rio Tinto pour discuter des travaux supplémentaires dissimulés. Par une lettre datée du 15 juin 2023, Rio Tinto a, selon toujours ces sources documentaires, reconnu ses erreurs dans la définition des besoins.
A l’origine de ce scandale se trouve un protocole signé le 17 novembre 2022 entre Rio Tinto representée par Gerard Rheinberger Managing Director Simandou et le gouvernement guinéen, représenté par le colonel Ibrahima Sory Bangoura. Ce document prévoyait la construction et l’aménagement d’un parc urbain à Conakry, présenté comme un projet phare pour moderniser les infrastructures de la capitale. Le protocole engageait Rio Tinto à respecter des normes d’éthique strictes et à lancer un appel d’offres transparent pour toutes les composantes de la zone du parc urbain. Pourtant, le contrat d’architecte-maîtrise d’œuvre a été, selon des pièces à la procédure, attribué “de gré à gré à Graphem Guinée SARL, en violation manifeste du Code des marchés publics”.
Cette situation est aggravée par le fait que Graphem Guinée SARL, dirigée par Mme Sarah Bougriane, n’est pas reconnue par l’Ordre National des Architectes de Guinée (ONAG). Une note officielle du 13 mai 2024 de l’ONAG a confirmé que cette société n’était pas habilitée à exercer en Guinée, ce qui aurait dû suffire à l’écarter du marché.
A son tour, un rapport de BAETI, du 31 octobre 2023, a mis en lumière l’absence de plans techniques essentiels, notamment le profil en long du dalot d’évacuation de l’eau de mer et des estimations précises des débits d’eau. De son côté, le Bureau Veritas a émis, le 15 décembre 2023, plusieurs observations critiques sur la qualité des études réalisées par la société Graphem Guinée, remettant en cause la solidité et la sécurité des infrastructures projetées.
Ces manquements pourraient entraîner des conséquences désastreuses pour la réalisation du parc urbain de Conakry, avec un risque accru pour la sécurité publique et des surcoûts importants.
Dans une déclaration publiée sur X (anciennement Twitter), Rio Tinto Simfer a nié toute implication de M. Samuel Gahigi, affirmant que ce dernier ne travaillait pas pour l’entreprise au moment des faits. Toutefois, cette défense n’écarte pas les interrogations sur les procédures de sélection des contractants et le rôle controversé de la société Graphem Guinée dans ce projet par l'article de lepetitdepute.com qui a revelé cette affaire..
Cette affaire expose des problèmes systémiques dans la gestion des projets d’infrastructure en Guinée, allant du favoritisme à des irrégularités contractuelles en passant par des manquements techniques graves. Les conclusions du jugement par la CRIEF pourraient redéfinir les responsabilités des parties impliquées et influencer durablement la perception des investisseurs étrangers sur la gouvernance économique du pays.
Le projet de parc urbain de Conakry, initialement présenté comme un symbole de modernisation, risque de devenir le symbole des failles structurelles qui entravent le développement de la Guinée.
Affaire à suivre.