Quand l’investissement public erratique, crève les plafonds de la dette guinéenne
Pour financer les investissements publics, le gouvernement guinéen, confronté ces dernières années à un tarissement de l’aide publique au développement et à une assiette fiscale insuffisante, a dû recourir à l’endettement. Une dette dont l’encours est reparti à la hausse, s’établissant à plus de 40% produit intérieur brut (PIB) à fin 2015. Tandis que la dette structurée connait une progression de 8,2 % pour se situer à plus de GNF 15 000 milliards, contre GNF 13 000 milliards en 2018. Le pays frôle déjà les GNF 8 000 milliards, à cause de l’augmentation de l’encours des bons du Trésor et des emprunts obligataires, qui sont respectivement de l’ordre de GNF 4 854 milliards et GNF 1 510,5 milliards respectivement. Il n’y a cependant pas feu au lac, car malgré cette dette abyssale, la Guinée semble être dans les clous. La seule fausse note dans cette émission effrénée de dettes, c’est que les investissements ne servent parfois qu’à bâtir des éléphants blancs.
En mars 2019, le Département des finances publiques du Fonds Monétaire International (FMI) a procédé à l’évaluation de la gestion des investissements publics en Guinée. Celle-ci a été préparée par une équipe des services du FMI et repose sur des informations disponibles au moment où elle a été achevée, en juillet 2018. Les conclusions de cette évaluation peuvent être obtenues sur demande, adressée aux services publication du FMI.
Au cours de son séjour à Conakry du 3 au 17 mai 2018, afin de procéder à l’évaluation de la gestion des investissements publics, la mission a rencontré les institutions de la Présidence de la République, comprenant le Bureau central des études et projets, l’Administration et Contrôle des Grands Projets et des Marchés Publics, et la Direction Nationale du Patrimoine Bâti Public. La mission a été aussi reçue par la Cour des comptes. Elle a eu des séances de travail avec les hauts responsables de la plupart des directions nationales intervenant dans la gestion des investissements publics au sein des Ministères de l’Économie et des Finances (MEF), du Budget (MB), et du Plan et de la Coopération Internationale (MPCI): les investissements publics, le Bureau d’appui technique aux études, le budget , le patrimoine de l’État et des investissements privés, la comptabilité matières et du matériel, le Trésor et de la comptabilité publique, le plan et de la prospective, le contrôle des marchés publics, la dette et l’aide publique au développement.
La mission a également rencontré la plupart des hauts responsables des structures impliquées dans la gestion des investissements publics (Bureaux stratégiques de développement, Directions des affaires administratives et financières, directions techniques, comptables des matières) des Ministères des secteurs suivants : Agriculture, Éducation, Santé, Travaux Publics (et Fonds d’Entretien Routier), Énergie et Hydraulique, Administration du Territoire et de la Décentralisation. Enfin, cette mission s’est aussi entretenue avec les représentants de certains partenaires techniques et financiers en Guinée.
L’une des conclusions majeures est que l’investissement public en Guinée a augmenté substantiellement au cours de ces dernières années. Rapporté au PIB, son niveau moyen a atteint 7 % entre 2012-2015, contre 4 % entre 2000-2010, mais demeure en deçà du niveau moyen des pays de l’Afrique sub-saharienne (ASS). Le taux d’exécution des dépenses d’investissements a été en progression, passant de 42% en 2015 à 75% en 2017. En moyenne, près de 70 % de cet effort d’investissement a été financé par les ressources intérieures.
Avec l’insuffisance des recettes fiscales et le tarissement progressif des flux d’aide publique au développement, une partie de l’investissement public a été financée par l’endettement.
En 2005, l’encours de la dette du gouvernement était de 100% du PIB, avant de retomber à 27 % du PIB à la faveur de l’atteinte du point d’achèvement de l’Initiative PPTE en 2012. Reflétant en partie, la reprise de l’investissement, la dette du gouvernement est repartie à la hausse, s’établissant à plus de 40% PIB à fin 2015.
L’endettement du gouvernement guinéen est encadré par des dispositions communautaires de la Communauté Économique Des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Fixés par la décision relative aux critères de convergence macroéconomique pour la mise en œuvre du programme de coopération monétaire de la CEDEAO, ces critères ont été révisés par la Conférence des Chefs d’État et de Gouvernement le 19 mai 2015 à Accra.
Ces critères sont désormais au nombre de six, dont quatre de premier rang et deux de second rang, comprenant la limite sur l’encours de la dette à 70 % du PIB. Ces règles communautaires ont été retranscrites dans la Loi guinéenne n°012/CNT portant loi organique relative aux lois de finances (LORF). Comme la LORF, son décret d’application n°2014/222 portant cadre de gouvernance des finances publiques dispose en son article 2 que les objectifs de la politique budgétaire doivent être conformes aux engagements pris par la Guinée dans le cadre d’accords internationaux relatifs en particulier à la CEDEAO.
Un projet de Déclaration de la politique d’endettement public et de gestion de la dette publique existe dans le pays. Cette déclaration donne un contenu plus opérationnel à l’objectif de viabilité de la dette publique. Elle servirait d’outil de référence au renforcement du cadre institutionnel de suivi, de contrôle et de gestion de l’endettement public. Son périmètre d’application s’étend à toute entité publique contractant ou consentant à une dette, ou bénéficiant d’une garantie souveraine. Ces entités doivent solliciter au préalable l’approbation du comité national de la dette publique (CNDP) sur rapport du Ministère de l’économie et des finances.
En pratique, l’endettement du gouvernement guinéen est soumis aux limites plus strictes, convenues dans le cadre du programme soutenu par la Facilité Élargie de Crédit (FEC) du FMI. Ce programme, approuvé en décembre 2017, limite l’endettement non concessionnel du gouvernement à $US 1,85 milliards, dont $US 1,2 milliards réservés au financement du projet hydro-électrique de Souapiti, et $US 650 millions au Financement de projets prioritaires d’infrastructures (énergie, transport, et éducation). L’engagement du gouvernement guinéen à respecter la limite d’endettement peut être aisément jaugé à l’aune des rapports de suivi trimestriels.
Sous la houlette du Comité national de coordination des politiques économiques, des rapports trimestriels sur les performances de la Guinée, par rapport aux critères de convergence, sont élaborés et transmis à la Commission de la CEDEAO. Il en ressort qu’à la faveur de l’allègement de la dette dont a bénéficié la Guinée suite à l’atteinte du point d’achèvement de l’initiative PPTE en 2012, la Guinée dispose d’une bonne marge par rapport à la limite de 70 % du PIB pour l’encours de la dette publique.
Cependant, le recours de plus en plus accru aux Partenariat-Public-Privé (PPP) pour la fourniture d’infrastructures en Guinée pourrait compromettre le respect de la limite d’endettement dans le futur. Afin 2017, le recensement des projets PPP par la DNPEIP indiquait un total de 25 contrats PPP signés entre 2012 et 2017, notamment dans l’énergie, le logement, et l’hôtellerie, d’une valeur d’environ 58% du PIB, mais deux (d’un montant total d’engagements d’environ 0.4 % du PIB) seulement seraient actuellement en cours d’exécution.
Les garanties souveraines associées à ces PPP n’ont pu faire l’objet de quantification, faute d’informations suffisantes. Il n’en demeure pas moins que, les risques d’incidence sur les finances publiques soient très significatifs, d’où l’urgence de finaliser et adopter le projet de décret d’application de la loi PPP de 2017 afin d’opérationnaliser le cadre institutionnel d’encadrement, de suivi et de gestion des risques éventuels liés aux PPP.
Le financement alternatif des infrastructures publiques n’est pas bien encadré. Il n’existe pas de plafonds explicites sur les montants annuels et totaux des engagements PPP et des garanties émises par l’État. Le suivi des plans d’investissements des entreprises publiques reste insuffisant, et il n’existe pas de plafonds explicites sur leur endettement. Ni le Code révisé des collectivités locales de 2017 ni la Déclaration de la politique d’endettement public et de gestion de la dette publique ne clarifient les limites et les conditions d’emprunt des collectivités décentralisées.
Selon le rapport annuel 2019 de la Banque Centrale de Guinée, le service de la dette recule de 34% par rapport à son niveau de 2018, pour se situer à GNF 577, 0 milliards. Ce recul s’explique par une baisse du paiement des intérêts aussi bien sur la dette intérieure que sur la dette extérieure.
Dans un environnement national marqué par la détérioration du déficit budgétaire et des difficultés de relance du dialogue politique, l’endettement public augmente de 5,6 % par rapport à 2018, pour se situer dans l’ordre de $US 4,26 Milliards. Ce niveau représente 35,7 % du PIB, mais reste en dessous du critère de convergence macroéconomique de la CEDEAO, fixé à 70 % du PIB. L’évolution de la dette publique provient de l’augmentation de la dette extérieure de 15,3% par rapport à 2018, malgré la baisse de la dette intérieure de 7 %. La structure de l’endettement public indique l’importance du niveau de la dette extérieure, qui représente 61,6 % en 2019 contre 56,4 % en 2018.
Une stratégie de gestion de la dette publique consistant à la poursuite de l’assainissement des relations financières entre l’État et le Secteur privé par l’apurement des arriérés intérieurs avait été identifiée par la Banque centrale.
Selon toujours ce rapport annuel de la Banque centrale, à fin 2019, l’encours de la dette extérieure publique s’est établi à $US 2, 62 Milliards soit une progression de 15,3 % par rapport à 2018. Cette évolution est principalement due à la hausse de la dette, aussi bien multilatérale que bilatérale, lesquelles se sont respectivement accrues de 18 % et de 11 %. La dette commerciale diminue de 0,9 % par rapport à 2018 pour se situer à $US 60,2 millions.
La structure de la dette extérieure fait apparaître une prédominance des créanciers multilatéraux qui constituent le premier groupe de créanciers avec un encours de $US 1, 33 Milliards, soit une part de 50,9 %, suivis des créanciers bilatéraux avec $US 1, 22 Milliards ou 46,8 % du total de la dette, et des créanciers commerciaux avec $US 60,2 millions ou 2,9 % du total.
Rapporté au PIB, l’encours de la dette extérieure représente, à fin 2019, 22 % contre 21,7 % à fin 2018, soit une augmentation de 0,3 points. Les plus grands créanciers multilatéraux de la Guinée restent le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale avec des enveloppes respectives de $US 446,8 millions et de $US 338,5 millions en 2019.
Le niveau de la dette extérieure bilatérale en 2019 est lié à l’accroissement plus marqué de la dette bilatérale (hors Club de Paris), qui résulte de l’augmentation des emprunts non concessionnels destinés au financement d’infrastructures routières et énergétiques. Ces emprunts non concessionnels sont contractés exclusivement auprès de la Chine. Par ailleurs, la dette provenant des fonds arabes reste relativement modérée avec un niveau de $US 182,1 millions contre $US 176,3 millions en 2018.
Le service de la dette extérieure dû à fin 2019 s’élève à $US 89,6 millions contre $US 111,5 millions en 2018. Ce service représente 2,1 % des exportations de biens et services et 5,3% des recettes fiscales comparativement à leur niveau respectif de 3,6 % et 5,8 % un an auparavant.
La dette intérieure à fin 2019 se caractérise par une baisse de 5,2 % par rapport à 2018, pour atteindre un niveau de GNF 15 015,5 milliards, soit 13,7 % du PIB. Cette baisse est attribuable au remboursement de la dette non structurée.
Par ailleurs, la dette structurée connait une progression de 8,2 % pour se situer à GNF 15 015,5 milliards, contre GNF 13 873,5 milliards en 2018. Ce niveau relève de l’augmentation de l’encours des bons du Trésor et des emprunts obligataires, pour GNF 4 854,3 milliards et GNF 1 510,5 milliards respectivement. Le découvert exceptionnel auprès de la Banque Centrale et la dette titrisée des pétroliers sont respectivement de GNF 6 826 milliards et de GNF 1 824,8 milliards.
Dans son rapport d’analyse des risques budgétaires pour le budget de l’État 2020, la division synthèse budgétaire du Ministère du Budget note que la loi de finances pour l’année 2020 fixe un déficit budgétaire de GNF 5 024 Milliards et un solde budgétaire de base de GNF 922 Milliards, soit 0.6% du PIB ; ce qui correspond à un niveau de recettes totales de GNF 21 706 Milliards contre des dépenses de l’ordre de GNF 26 730 Milliards avec un taux d’endettement de 45.4% et des charges financières de la dette qui s’élèvent à GNF 1 154 Milliards soit 4% du Budget de l’État.