Soguipah: Michel Bémy branle dans le manche
Après avoir échoué à mettre le couvercle sur la marmite, c’est à son défendant que la direction générale de la Société guinéenne du palmier à huile et de l’hévéa (Soguipah) devra faire face à un mouvement de grève des travailleurs de cette entreprise basée dans la localité de Diécké, en Guinée forestière à compter du 7 décembre 2021. Dans leur préavis de grève, les travailleurs réunis au sein d’un collectif, ont pris leur courage en main, pour dresser un réquisitoire sévère contre la gestion de cet EPIC (établissement à caractère industriel et commercial). Accusant la direction générale d’avoir institué une gestion opaque de la société, dont les retombées ne profiteraient qu’à une caste agglutinée autour du directeur général, au détriment des employés et des planteurs villageois. Face à ce sombre tableau dépeint par le collectif, la direction générale n’a pour le moment pas daigné réagir. Cette grève qui pointe à l’horizon sera sans doute une belle occasion pour nos limiers de lever un coin du voile sur la gouvernance de la Soguipah, ex ante. Ce fleuron de l’industrie guinéenne, qui était au bord de l’asphyxie, sous le magistère de Mariame Camara, ex ministre du Commerce, dans le dernier gouvernement d’Alpha Condé, avant d’échoir dans l’escarcelle de Michel Bémy.
En effet, suivant les termes d’une lettre de préavis de grève du 25 novembre 2021, un collectif des travailleurs de la Société guinéenne du palmier et de l’hévéa (Soguipah) a soumis à la Direction générale, une plateforme revendicative de 29 points. Tout en relevant entre autres que les ressources générées par les durs efforts des employés de la Soguipah leur seraient spoliées au bénéfice d’une minorité interne ainsi que des entités extérieures à l’entreprise.
Les signataires dénoncent une paupérisation du personnel, la détérioration des relations avec les planteurs, transporteurs et la Caisse nationale de sécurité sociale (Cnss).
A travers leurs revendications, les travailleurs exigent aussi « la mise en place d’un calendrier rigoureux de paie, la révision à la hausse de la grille salariale, la réactualisation des textes règlementaires maison de 1994, la reprise des prises en charge médicales, la fourniture des denrées alimentaires, la dotation en produits pharmaceutiques, des équipements de protection de travail au garage dans les usines et les plantations (bottes, imperméables, casques, gants, paires de sécurités ».
Les travailleurs enjoignent à leur direction générale « la mise en place d’un système de transport adéquat en faveur des ouvriers agricoles, la révision des avantages sociaux des agents admis à faire valoir leurs droits à la retraite (indemnité de départ et pension), les allocations familiales et des indemnités journalières, l’entretien régulier et extension des plantations industrielles des palmiers à huile et hévéas ainsi que de leur renouvellement, l’uniformisation des avantages des cadres de l’entreprise, adaptation et modernisation des usines de traitement du caoutchouc et huilerie, la rénovation de la cité des ouvriers, le rétablissement des prêts bancaires, une politique de gestion de carrière et le paiement du 13ème ».
C’est pour tout ça que les travailleurs décident de déckencher une grève à partir du 7 décembre 2021, au sens et à l’esprit de l’article 431 du Code de travail.
Selon le tableau récapitulatif des états financiers de la période 2005-2015 reçus par la chambre des entreprises publiques, des institutions bancaires, des crédits, d’assurances et des autres organismes soumis au contrôle de la cour des comptes, la Soguipah n’a déposé aucun rapport financier sur les 8 exigibles (Rapport annuel d’activité 2016, p.64).
A en croire les archives de 2017 de la direction nationale du patrimoine de l’État et des investissements privés, la Soguipah est une société publique appartenant entièrement à l’État guinéen. Son capital social est de GNF 40 milliards et son siège social est à Diécké (Préfecture de Yomou).
A quoi servent alors tous ces milliards engrangés par la société, qui il faut le noter produit de l’hévéa et de l’huile de palme, qui sont directement vendus sur le marché international ?
Cette question mériterait d’être posée aux dirigeants de la Soguipah, y compris à Mme Mariama Camara, qui s’est réfugiée d’ailleurs au Maroc, depuis le putsch du 05 septembre.
Il conviendrait de noter que la Soguipah avait enregistré un résultat négatif en 2015, de GNF -9, 19 milliards qui s’est fortement aggravé en 2016 pour atteindre GNF -20, 46 milliards en 2016 soit 122,57%.
Et selon des corps de contrôle consultés, tous les postes de charges ont enregistré une hausse considérable. La dette sociale est passée de GNF 8, 29 milliards en 2015 à GNF 13, 76 milliards en 2016 soit une augmentation exponentielle de 65,89%.
La dette fournisseurs s’est accrue de GNF 33, 46 milliards en 2015 à GNF 47, 47 milliards en 2016, soit une progression de 41,86%.
L’achats de matières premières et fournitures liées sont passés de GNF 44, 51 milliards en 2015 à GNF 52, 11 milliards en 2016 soit un taux de progression de 17,07%. Les achats se sont également accrus de GNF 46, 21 milliards en 2015 à GNF 57, 49 en 2016, soit une augmentation de 24,41%.
C’est le lieu de dire que la Soguipah a besoin urgemment d’un conseil d’Administration et d’une mission d’audit pour s’enquérir de la situation de la gestion de l’entreprise. Il est à rappeler que la Soguipah bénéfice d’un régime fiscal prévu par la législation guinéenne dans le cadre du code des investissements. La Soguipah a un effectif total de 2 782 travailleurs dont 230 cadres, 251 ouvriers qualifiés, et 2 301 ouvriers et apprentis qui ont bénéficié d’un salaire annuel de GNF 62, 75 milliards, pour l’exercice 2016, elle n’a bénéficié d’aucune subvention pour ces deux exercices.
Il est important de souligner que la Soguipah détient des parts d’action dans le capital de la SOGGAI (société guinéenne de gestion agro-industrielle. Et dont la division du patrimoine de l’État est fonctionnelle depuis sa création, p.4 et Rapport annuel d’activités de la cour des comptes p.65) à hauteur de 15%, soit GNF 30 millions dans un capital social de GNF 200 millions. Aucune notification n’a été faite à l’actionnaire unique sur cette prise de participation de la société. Ce qui nous semble invraisemblable. Et le 24 avril 2018, un rapport d’examen des politiques commerciales de l’organisation mondiale, a répertorié la SOGGAI parmi les 40 sociétés partiellement détenues par la Guinée.
Les états financiers ne sont pas également conformes à la réalité de cette société qui fait des investissements énormes, plébiscité partout pour ses performances, alors qu’elle dégage des pertes d’année en année. Cette situation nous parait paradoxale et nous laisse dans des doutes sur la sincérité des états financiers fournis à l’État.
Pour le cas de la Soguipah, la TVA collectée n’est même pas reversée à l’Administration fiscale, elle est maintenue comme ressource interne dans l’entreprise. Il faut absolument la mise en place dans les meilleurs délais de conseil d’Administration conformément à la Loi 075 portant gouvernance financière des sociétés et établissement publics à celles qui en sont dépourvues. Le recrutement d’un commissaire aux comptes, pour les entreprises dépourvues. Le paiement d’au moins 40% du bénéfice net réalisé en dividendes à l’État avec effet rétroactif sur les deux années précédentes à faire supporter par les réserves et le report à nouveau. Le versement de la TVA à l’Administration Fiscale.
Plus que profond. C’est pourquoi je dirai que les entreprises en situation de résultats négatifs répétés nécessitent un diagnostic approfondi pour engager une nouvelle réforme plus efficace. Pour les entreprises à résultat cumulativement positif, celles-ci ont besoin des conseils et des plans d’orientations pour enregistrer d’avantage des résultats plus performants.
Quand on sait que la part de contribution des sociétés et établissements publics au produit intérieur brut (PIB) atteint à peine 7%, était, jusqu’à un passé récent, moins de GNF 50 milliards. Preuve, s’il en est besoin, que cet important patrimoine est exploité à minima. Une brèche par laquelle s’engouffrent les cols blancs de tout acabit. Dans une administration publique où des vertueux comme Nestor se comptent sur les doigts d’une main.