Crise de liquidité en Guinée : le gouvernement serre la vis pour éviter l’asphyxie économique
Face à une crise de liquidité persistante à la Banque centrale, le gouvernement guinéen a enclenché une série de mesures d'urgence destinées à stabiliser les flux financiers et à restaurer la confiance dans le système économique national. Une circulaire du Premier ministre Amadou Oury Bah, datée du 23 juin 2025, trace les grandes lignes de cette riposte coordonnée.
Dans la foulée, les 4 et 5 juin derniers, deux réunions de haut niveau ont été organisées à la Primature et au Secrétariat général de la Présidence pour évaluer l’ampleur de la crise. Le diagnostic est sans appel : la Banque centrale est confrontée à une raréfaction critique des liquidités, compromettant la capacité de l’État à honorer ses engagements en espèces – salaires, pensions, paiements aux entreprises – et faisant planer un risque réel de paralysie généralisée.
Pour faire face à cette situation, la circulaire consultée par lepetitdepute.com fixe trois priorités claires :
Premièrement, l’adoption des virements bancaires dans l’armée. Le ministère de la Défense nationale, que “dirige” le Général Aboubacar Sidiki Camara, est sommé d’abandonner les paiements en espèces au profit de virements électroniques, jugés plus traçables et moins sujets à la fuite de liquidités. Une décision sensible, car les militaires en détachement aux frontières, tout comme les gestionnaires de la restauration des troupes, restent selon plusieurs sources attachés au système du « billetage ». D’ailleurs, pour la première fois depuis longtemps, plusieurs généraux à la retraite attendent encore leur pension, qu’ils avaient pourtant l’habitude de percevoir avant le 25 de chaque mois.
Deuxièmement, la digitalisation des paiements à la Primature. Désormais, tous les paiements – primes, contrats, frais administratifs – devront transiter par le système bancaire, mettant un terme définitif aux transactions en espèces ou manuelles.
Troisièmement, la modernisation de la CNPS. La Caisse nationale de prévoyance sociale est instruite de digitaliser le versement des pensions de retraite. Cette réforme vise à réduire les files d’attente, limiter les fraudes et renforcer l’ancrage de la circulation monétaire dans le circuit formel.
Toutefois, cette série de mesures techniques ne saurait masquer une réalité plus profonde : la crise actuelle est le symptôme d’un système économique sous tension chronique. Elle met en lumière les fragilités structurelles de l’économie guinéenne : faible bancarisation, dépendance aux liquidités de court terme, et prédominance des paiements en espèces dans les finances publiques. La rareté des liquidités au sein même de la Banque centrale – censée incarner la stabilité monétaire – révèle un déséquilibre alarmant entre recettes publiques, transferts sociaux et dépenses de souveraineté. Ce déséquilibre menace aujourd’hui non seulement la sérénité des chefs d’agences des banques primaires, mais aussi certains responsables militaires impliqués dans la chaîne logistique.
Concrètement, les effets de la crise sont déjà visibles : retards dans le paiement des pensions, tensions sur les salaires des fonctionnaires, baisse de l’activité chez les PME sous-traitantes de l’administration et ralentissement du secteur privé. Un climat d’inquiétude s’installe également dans le système bancaire. Et si la situation n’est pas rapidement maîtrisée – comme le souhaite ardemment le Premier ministre Bah – le pays pourrait faire face à une cascade de conséquences : retraits massifs dans les banques, hausse des taux d’intérêt et perte de confiance des investisseurs.
Dans ce contexte d’urgence, plusieurs économistes interrogés estiment que la digitalisation des paiements publics constitue l’unique voie de sortie. Elle permettrait non seulement de moderniser les pratiques, mais aussi de renforcer la transparence et la traçabilité des flux. Cependant, pour que cette transition porte ses fruits, elle doit s’appuyer sur des infrastructures robustes, une couverture numérique étendue – notamment en milieu rural – et une véritable inclusion financière des populations.
En définitive, si la réponse gouvernementale constitue une étape nécessaire, elle demeure insuffisante sans une réforme plus structurelle de la gouvernance économique. L’enjeu est désormais clair : restaurer la crédibilité de l’État, renforcer les capacités opérationnelles de la Banque centrale, et bâtir une économie résiliente, moins tributaire des flux de trésorerie immédiats, et capable d’amortir les chocs à venir.