Audits des marchés publics : des résultats qui font froid dans le dos

Sur la foi de ses instructions lors du Conseil des ministres du 8 juillet 2021, le Chef de l’État d’alors avait réitéré avec autorité, l’impérieuse nécessité pour l’ensemble du gouvernement de se conformer aux règles prescrites par le Code des Marchés Publics en insistant tout particulièrement sur le fait que l’appel d’offre ouvert doit demeurer le principe de base de la commande publique. A ce titre, il avait exigé de tous les ministres de faire preuve de proactivité et de célérité dans la planification des achats publics sectoriels afin que les procédures dérogatoires à l’appel d’offre ouvert soient désormais marginales.
Mais à regarder l’ampleur du mal pointé par différentes études depuis quelques années, le président Alpha Condé ne saurait s’exonérer de reproches. En feuilletant un rapport d’audit indépendant sur les marchés publics, enrichis d’informations rondement glanées, notre enquêteur nous a davantage convaincus de la profondeur du mal. Conclusion, c’est un réveil tardif d’un Président de la République dont on ne peut plus jurer du jusqu’auboutisme contre la mal-gouvernance.
En effet, ce qui est plus évocateur, ce sont les lignes d’un audit indépendant des marchés publics, passés entre 2013 et 2015, commandité en mars 2016, par le ministère de l’Économie et des Finances, réalisé par le cabinet International consultants for procurement. Cet audit avait porté sur un échantillon de 68 marchés sélectionnés selon un audit de conformité sur un portefeuille excèdent la centaine. Le rapport qui en a résulté avait révélé d’importantes failles
dans la gestion des passations des marchés de l’État.
Il conviendrait de noter d’entrée, que les marchés retenus dans cet échantillon, représentaient en gros, un montant total de GNF 12 171 399 768 858. Dans le lot, seize marchés furent sélectionnés pour l’audit d’exécution physique, sur le total du portefeuille des 68 marchés
retenus par le consultant. Des marchés publics d’une valeur de GNF 3 268 860 875.
Cet audit avait pour but de limiter le siphonage des fonds publics par le biais des marchés publics passés dans l’opacité totale.
L’évaluation a noté la défaillance ou l’inexistence d’un système physique de classement et d’archivage des documents des marchés passés. Cette faiblesse se caractériserait par des difficultés rencontrées dans la collecte d’informations. Des informations qui s’avèrent
parcellaires et de qualité insuffisante.
D’après les résultats de ce contrôle, le recours aux procédures de gré à gré pour 92% des marchés audités n’est pas conforme aux dispositions du code des marchés publics. A titre d’exemple, ces marchés n’auraient fait l’objet d’aucune autorisation préalable et/ou n’étaient pas éligibles à au moins l’un des critères prévus par le code des marchés publics.
La mission a détecté la mise en place d’un système de paiement, sans base légale au regard des textes régissant les marchés publics. Car ni le code des marchés publics ni ses textes d’applications ne prévoit le préfinancement des marchés publics avec une garantie de l’État, déplore l’auditeur.
De plus, cette procédure de paiement se fait en dehors de la chaîne de la dépense publique et les régularisations ultérieures envisagées dans les budgets respectifs des autorités contractantes ne sont pas systématiques, mieux elles sont rares.

L’auditeur a effectivement relevé le non-respect des délais d’exécution de certains marchés, sans application de pénalités de retards prévues par les dispositions contractuelles. Environ 40% sont exécutés au-delà du délai contractuel.
Sur le volet concernant l’inexistence ou la faiblesse d’un système physique de classement et d’archivage opérationnel. A ce niveau on note qu’en moyenne 57% des documents des marchés de travaux, fournitures et prestations intellectuelles, retenus dans l’échantillon d’audit, n’étaient pas disponibles ou étaient incomplets lors des passages (dossiers d’appel d’offres, rapports d’évaluation, contrats, lettre de notification des marchés, PV de réception,
documents de paiement, rapport de mission pour les prestations intellectuelles, etc.).
Dans le recours à la procédure par entente directe (gré à gré) en violation des dispositions du code des marchés publics, l’évaluateur conclut que 23 des 25 marchés soit 92% du total des marchés passés par la procédure de gré à gré, l’ont été selon des motifs non conformes aux
exigences du code des marchés publics.
LePetitDéputé reste dans les entrailles nauséeuses des marchés gré à gré qui met à nu, au visa de cet audit indépendant réalisé en 2016, les dégâts abyssaux causés par cette pratique sur l’économie et les finances publiques du pays. Ci-dessous, ce sont les constats et révélations de
l’Autorité de régulation des marchés publics (ARMP), qui sidèrent davantage. On découvre que les autres facettes du scandale des marchés publics en Guinée ont pour noms : échéancier de remboursement fantaisiste, trop plein de marchés pour certaines entreprises, attribution de
marchés à des sociétés écrans ou encore adjucataires de contrats dépassant largement leurs statuts. Visiblement donc, la partie immergée de l’iceberg des marchés gré à gré outrepasse toute vue de l’esprit.
En effet, les seize (16 marchés) sélectionnés pour l’audit d’exécution physique, sur le total du portefeuille des 68 marchés retenus par le consultant, correspondaient à une valeur de GNF 3 268 860 875.
Cette contradiction saute aux yeux. En effet entre la clause relative au mode de financement prévu dans le marché et celle indiquée dans la lettre de garantie émise par BCRG en faveur de la banque de l’entrepreneur, il est mentionné que le marché doit être financé entièrement par
l’entrepreneur dont le remboursement s’effectuera par annuité sur une période 5 ans avec un moratoire d’un an. Alors que la lettre de garantie fixe, elle, un échéancier de remboursement d’un an.
Dans le cadre de l’analyse, l’ARMP s’est intéressée principalement aux entreprises ayant été bénéficiaires d’au moins trois marchés publics par an au cours des 3 dernières années. Il est aisé d’expliquer la présence régulière de certaines entreprises dans cette liste, notamment celles des grands travaux BTP, GUICOPRES SA et GUITER SA du fait de la nature des travaux et de la condition de passation des marchés en gré à gré en raison du préfinancement des travaux, mais aussi du manque d’entreprises locales performantes dans cette catégorie.
Aussi en 2015, au-delà du nombre de marchés obtenus, le cas de la société SONECI SA mérite d’être signalé à la lumière.
Parce que cette entreprise a eu le plus grand nombre de marchés en 2015, soit 7 en tout. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, les 7 marchés ont été immatriculés le même jour, le 08 décembre 2015.
Ce sont des marchés de fournitures, notamment des fournitures scolaires et principalement de bâtons de craie. Des marchés qui provenaient de la seule et unique autorité contractante qui n’était autre que le Ministère de l’Éducation Pré universitaire et de l’l’alphabétisation
(MEPU-A).
Concernant ces marchés, les frais de transport étaient exprimés en pourcentage de la valeur de la marchandise (3%), ce qui semble très curieux.
Selon toujours des documents consultés auprès d’une source à l’ARMP, il y a lieu de signaler le cas de l’entreprise CARIG (cabinet d’étude) qui mérite un commentaire.
Ce cabinet d’étude se retrouve de fait par sa prestation, détenteur du coût de réalisation des ouvrages, considéré comme enveloppe financière confidentielle. Celle-ci pourrait faire l’objet de marchandage avec les entreprises soumissionnaires dans le but pour celles-ci de mieux
positionner leurs offres financières.
Selon toujours notre source à l’ARMP, deux entreprises Fassimania SARL et Dalaman Construction, ayant le même objet social et le même gérant participent à la commande publique, pouvant donc concourir pour les mêmes marchés.
Cette situation offre au gérant de ces entreprises une probabilité plus grande de remporter les marchés, faussant ainsi la concurrence.
Il s’est avéré que les deux entreprises ont obtenu en 2015 les marchés d’un montant cumulé de GNF 16 635 693 844.
Une autre illustration de cette situation anormale concerne, une société anonyme (Diamar SARL U), ayant pour objet social le commerce import- export qui modifie ses statuts pour devenir une SARL U et rajoute à son objet social : « les bâtiments, les travaux publics, le design, le génie civil, l’architecture, l’importation et la commercialisation de matériel de construction etc… »).
Cette entreprise a totalisé de 2013 à 2015 plus de GNF 97 milliards de travaux et fournitures.
Son quitus fiscal présenté en janvier 2015 valable pour 3 mois ne fait pas mention de Retenue et Taxe sur les salaires, ce qui veut dire qu’aucun employé n’a été déclaré pour cette période.
En revanche, le quitus social, mentionne la présence de quatre employés avec une cotisation patronale et ouvrière trimestrielle de GNF 2 829 000, soit un salaire moyen mensuel d’environ GNF 1 300 000 sur la base de 18% de taux de cotisation.
Au regard de leur taille (quatre employés) et de leur responsabilités (société unipersonnel), il est inimaginable d’attribuer des marchés publics de génie civil ou de construction à ce type d’entreprise compte tenu de l’exigence de garantie de l’ouvrage, de la sécurité des usagers et de leur solvabilité.
Cet exemple illustre bien les conditions douteuses de l’attribution des marchés et le manque de rigueur au niveau des opérations d’ouverture des plis, d’évaluation des offres mais aussi au niveau de l’activité de contrôle des marchés publics.
Dans le volet conflit d’intérêt, ne devraient pas être éligibles à la commande publique, des entreprises gérées par des relations très proches des cadres du Ministère de l’économie et des finances ainsi que de l’Administration et Contrôle des Grands Projets et Marchés Publics.