Affaire BCRG–Hypro Mining : au cœur d’un scandale aux allures de système organisé

Depuis plusieurs semaines, un réseau international de journalistes d’investigation, en collaboration avec des acteurs de la société civile, mène une enquête approfondie sur des transactions suspectes impliquant la Banque Centrale de la République de Guinée (BCRG) et plusieurs sociétés privées opérant dans le secteur aurifère.
Les premiers éléments recueillis mettent en lumière un dispositif financier opaque, construit autour de contrats controversés, de flux monétaires difficilement traçables, et de la possible implication de hauts responsables de l’État Guinéen. Selon des documents obtenus par notre rédaction et des témoignages concordants, ce mécanisme aurait permis l’enrichissement personnel de certains individus, au détriment des ressources publiques.
Parmi les figures les plus citées dans cette affaire figurent M. Tidiane Koita, président de l’Union des Orpailleurs de Guinée, et M. Karamo Kaba, gouverneur de la Banque centrale. L’un des axes majeurs de l’enquête concerne les contrats — reproduits ci-dessous en version PDF — conclus entre la BCRG et ses partenaires dans le cadre de transactions liées à l’exportation d’or. Deux catégories distinctes de contrats ont ainsi été identifiées :
•    D’une part, les contrats signés directement entre la BCRG et Emirates Minting Refinery (EMR) ;
•    D’autre part, ceux conclus avec des sociétés associées à M. Tidiane Koita, notamment Hypro Mining Sarl.
Le premier contrat, signé en février 2023 avec EMR est d’une validité de deux ans, portait sur le transport, l’affinage, le stockage, le placement et la vente de l’or. Il établissait une relation directe et, à première vue, relativement transparente. La clause relative au transport précisait clairement les rôles et responsabilités de chaque partie. De plus, les documents d’accompagnement des premières expéditions — incluant lettres de transport aérien, factures au nom de la BCRG, documents de dédouanement, évaluations et procès-verbaux — confirment une relation formelle et structurée entre la BCRG et EMR.
En revanche, un second contrat, signé en mars 2023, soulève plusieurs interrogations. Il concerne la livraison de quatre tonnes d’or brut par la BCRG, provenant de la société Hypro Mining. Cette quantité d’or proviendrait-elle de mines sous sanctions internationales, telles celles opérées par Nord Gold en Guinée ? Comme stipulé dans le contrat, seul le vendeur est responsable de la qualité et de l’origine de l’or cédé à la BCRG, ce qui renforce les préoccupations liées à l’approvisionnement.
Autre élément préoccupant : contrairement au contrat EMR, celui signé avec Hypro Mining accorde une commission de 3,5 dollars par gramme, soit 3,5 millions de dollars par tonne — un tarif bien plus élevé que les 0,1 dollar par gramme octroyés à EMR. Cet écart de commissions soulève des questions légitimes sur les motivations sous-jacentes et l’opacité du processus financier.
•    Écart par tonne : Hypro Mining touche 3,4 millions de dollars de plus par tonne qu’EMR.
•    Sur 4 tonnes : l’écart total grimpe à 13,6 millions de dollars.
•    Écart de pourcentage : cela représente une majoration de 3 400 % par rapport à EMR (Bien que cette analyse mathématique, réalisée par des journalistes, puisse comporter des erreurs, elle permet d’obtenir un ordre de grandeur des marges pratiquées).
De plus, l’article 3 de ce second contrat stipule que Hypro Mining prend en charge l’acheminement de l’or en mode "door-to-door" jusqu’à l’affineur désigné par la BCRG, ainsi que l’ensemble des frais afférents, incluant logistique et assurance. La responsabilité de Hypro Mining ne prend fin qu’au moment de la réception effective de l’or par l’affineur, moment où le transfert de propriété au profit de la BCRG est également enregistré. Par ailleurs, la société est tenue, avant chaque opération de transport, d’informer la Banque Centrale de la quantité d’or expédiée et de lui transmettre une copie de la police d’assurance couvrant la cargaison.
Cependant, selon plusieurs sources proches du dossier, des avances en espèces auraient été versées à M. Koita, en dehors de tout cadre réglementaire. Ces fonds proviennent-ils de la Banque Centrale ? Si tel est le cas, comment et pourquoi auraient-ils été utilisés pour acquérir de l’or sur le marché local avant d’être revendus à la même BCRG via une raffinerie partenaire, dans un circuit fermé au bénéfice d’intérêts privés ?
Ce mécanisme, que certains experts qualifient de frauduleux, aurait été mis en place avec la complicité présumée de hauts responsables. Plusieurs sources évoquent même l’existence de rétrocommissions redistribuées à différents niveaux de l’appareil d’État. Cet aspect fera l’objet d’un développement détaillé dans une prochaine publication.
Si les faits actuellement à l’examen venaient à être confirmés par des autorités judiciaires ou par des audits indépendants, cette affaire pourrait constituer l’un des plus graves scandales de détournement de fonds publics de l’histoire récente du pays. Elle porterait ainsi un coup sévère à la réputation de la Banque Centrale, mais aussi au CNRD et au Général Mamadi Doumbouya, censés garantir la stabilité monétaire et la rigueur financière de la République de Guinée.
Dans un souci d’équilibre et de transparence, notre rédaction a sollicité à plusieurs reprises M. Karamo Kaba, gouverneur de la BCRG, ainsi que M. Tidiane Koita, dirigeant de Hypro Mining, afin de recueillir leur version des faits. À la date de publication de cet article, aucun d’eux n’a donné suite à nos demandes d’entretien.
Nos colonnes restent bien entendu ouvertes à ceux qui souhaitent faire toute la lumière sur cette affaire, qui ternit la réputation du Général Mamadi Doumbouya, perçu par certaines institutions internationales comme le 'dragon africain' contre la corruption.
Enfin, d’autres révélations, accompagnées de pièces justificatives, seront publiées dans nos prochaines éditions.