Financement du terrorisme : Deux hommes d’affaires guinéo libanais dans le viseur du trésor américain
Dans le cadre d’une enquête mondiale, menée par ProPublica, le Consortium International des Journalistes d’Investigation (ICIJ) et la Cellule Norbert Zongo pour le journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest (CENOZO), sur le comportement des consuls honoraires, plusieurs d’entre eux sont accusés d’appartenir à des réseaux de crimes organisés ou d’activités illicites. Dans certains pays, beaucoup se sont déjà écartés de la noble mission diplomatique stipulée par la convention de Vienne du 18 avril 1961 et sont sous le régime des poursuites judiciaires pour des chefs d’inculpation allant des faits présumés de trafic de drogue et d’êtres humains, au blanchiment des capitaux, y compris la corruption, le financement du terrorisme et complicité.
En effet, depuis le 4 mars 2022, le Trésor américain, à travers l’Office of Foreign Assets Control (OFAC), a désigné M. Ali Saadi consul honoraire de la Guinée à Beyrouth au Liban, et M. Ibrahim Taher (dont le statut de consul honoraire de la Côte d’Ivoire n’a pas été établi par les autorités judiciaires guinéennes), comme étant des soutiens financiers du mouvement terroriste libanais Hezbollah. Il s’agit d’hommes d’affaires d’origine libanaise, naturalisés guinéens.
A la suite des accusations du Trésor américain, le gouvernement guinéen va entamer dès le 7 mars une procédure judiciaire, par l’entremise du Parquet Général de Conakry, afin de se faire sa propre religion sur ce fait.
Mais force est de constater à ce jour que la justice guinéenne n’a pas confirmé les accusations américaines, contre les deux opérateurs économiques d’origine libanaise. Parce que M. Zaoro Konomou, le Doyen des juges d’instruction du Tribunal de Première Instance de Kaloum a rendu en juillet, une ordonnance de Non-Lieu qui a été, selon Me Pépé Antoine Lamah avocat de la partie civile au bénéfice de l’Agence Judiciaire de l’Etat, confirmé par la Chambre de contrôle de l’instruction de la Cour d’Appel de Conakry.
Toutefois, la partie civile a aussitôt interjeté appel auprès de la Cour Suprême, contre ce verdict du Tribunal de Kaloum. Notre source judiciaire affirme que la procédure serait toujours pendante devant la Cour Suprême.
En attendant la prochaine délibération, les accusés Saadi et Taher savourent leur victoire, parce que la justice guinéenne a statué qu’« il n’y [ait] lieu à suivre davantage contre Ali Saadi et Ibrahim Taher des chefs de blanchiment de capitaux, de financement de terrorisme et de complicité. Ordonne la restitution aux inculpés de leurs passeports placés sous main de justice. Et ordonne en outre le dépôt du dossier de la procédure au greffe du Tribunal de notre siège pour être repris en cas de survenance de charges nouvelles ».
N'empêche, les deux accusés ont engagé en mai 2022, les services du cabinet d’avocat ArentFox Schiff LLP pour la défense de leurs intérêts devant la justice américaine. Un paiement d’honoraire d’avocat de 50000 dollars US a déjà été consenti par Ahmed Taher, un des proches d’Ibrahim Taher. Ahmed serait suivant procès-verbal des décisions de l’associé unique du 5 mars 2022 (soit le lendemain du communiqué du Trésor américain), gérant de la société Taher Fabrique de Guinée (TAFAGUI), qui détient à son tour 100% de la société Grands Moulins de Conakry (GMC).
En octobre Houssein Fadallah Taher un des frères de Ibrahim Taher a séjourné à Conakry. Des sources indiquent qu’il mène des démarches bancaires et s’assurerait de la reprise effective de ses activités dans la société TAFAGUI dans laquelle lui et Ahmed Taher sont suivant le Registre du Commerce du 7 mars, cogérant jusqu’à 2025.
Toutes nos démarches auprès d’Ibrahim Taher, en vue de recueillir sa version des faits dans cette affaire délicate sont restées vaines. Contrairement, à Ali Saadi, par ailleurs Président de l’Union Libanaise de Guinée (ULG), que nous avons rencontré trois fois au siège de la société SONIT-Pêche à Conakry, ce dernier a nié toutes les charges portées contre lui, notamment sur le financement du terrorisme. Selon lui, en dehors de la mise en contact, en sa qualité de consul honoraire de la Guinée, de Tajeddine (qu’il considère comme investisseur) et l’ancien président de la Guinée Alpha Condé, rien n’est vrai.
Ali Saadi souhaiterait qu’il lui soit offert, l’opportunité de rencontrer des agents d’OFAC, hors du territoire des Etats-Unis d’Amérique, pour se défendre de vive voix et ainsi leur exposer « de bonne foi », ce qu’il sait et les limites de son rôle, en tant qu’homme d’affaires, consul et président de l’ULG.
En attendant, une source gouvernementale assure que pour faciliter l’enquête judiciaire, le statut de consul honoraire d’Ali Saadi a été suspendu depuis mars. Alors que Ali, également détenteur d’un passeport français, annonce avoir introduit auprès du Ministère des Affaires Étrangères, de la Coopération Internationale, de l’Intégration Africaine et des Guinéens de l’Etranger, « une demande de rétablissement dans ses fonctions diplomatiques ». Ce qui nous a été confirmé, par un cadre dudit Ministère.
De son côté le gouverneur de la Banque Centrale, Karamo Kaba, répondant à un Mémorandum portant sur la « la situation des avoirs et engagements des entreprises et apparentés de Ali Saadi et Ibrahim Taher » a exhorté en mai, le président de l’Association des Professionnelles de Banque et des établissements de crédit de « n’entreprendre aucune action allant à l’encontre du respect des règles… ».
Pourtant, des sources indiquent que ces deux personnalités incriminées et leurs entreprises ont poursuivi leurs activités économiques et financières. Via les livres de deux banques locales par le biais des sociétés Grands Moulins de Conakry, Tafagui, Africa Transport et SONIT-Pêche. Et une enquête auprès de deux établissements bancaires à Conakry, a découvert en mai 2022, que Ali Saadi ne disposait pas de compte bancaire personnel, alors que Taher en possédait trois dans trois devises différentes.
Pour Moussa Cissé, le Ministre de l’Economie des Finances et du Plan, la délégation guinéenne aux dernières assemblées du groupe de la Banque Mondiale, le dossier d’Ali et Taher a été largement discuté avec les agents du Trésor Américain et l’OFAC. « Nous avons été beaucoup interrogés sur cette affaire », dit-il.
En octobre 2022, 32 consuls honoraires avaientnt été recensés en territoire guinéen, par la Direction générale du protocole d’Etat guinéen. Parmi lesquels celui de la République de Côte d’Ivoire à N’Zérékoré, Hassan Taher de la famille d’Ibrahim Taher. Il y a également celui de la Corée du Sud Ibrahima Kassus Dioubaté, celui de la Hongrie, Oumar Bella Barry (dont le statut a été révoqué en octobre pour des raisons de santé, selon l’intéressé) et celui de l’Ukraine Charles Amara Sossoadouno.
En plus, la Guinée compte quatre Consuls honoraires en Asie et au Moyen Orient, quatre en République fédérative du Brésil et aux USA, dix en Afrique et onze en Europe.

